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Conversation

PIERRE LAPOINTE

Ces humains et leur point de vue unique sur la vie nous inspirent.

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Photo: Kelly Jacob

Au Québec, Pierre Lapointe est devenu une sorte de trésor national. Ses talents de compositeur et interprète le font valser d’une rive à l’autre de l’Atlantique depuis près de deux décennies, mais c’est dans toutes les formes d’arts qu’il puise son cocktail explosif de sensibilité et d’audace. À l’aube de la sortie de son nouvel album, il a accepté de s’ouvrir à nous.

Pour vous qui rêviez plutôt d’art, de mise en scène et de direction artistique, quel déclic vous a lancé sur la voie de la musique?

J’ai commencé à composer des mélodies vers 11 ans. Je suivais des cours de piano mais comme j’étais dyslexique – jamais diagnostiqué parce que je m’exprimais bien - j’étais incapable de lire les notes. Ça me démotivait terriblement. Pourtant, ma professeure de l’époque affirmait qu’elle n’avait jamais croisé un élève aussi musical. Disons que je la croyais sans la croire, car tout le système autour de moi m’amenait plutôt à me dévaloriser. Et puis un jour, j’ai eu un appel très fort pour le théâtre, pour la scène. J’ai passé des auditions, un professeur m’a vu jouer et a proposé de me former pour que j’intègre une école. C’est là que j’ai décidé de laisser tomber la musique… Je me souviens de cette phrase de ma professeure de piano qui a longtemps résonné en moi : « Les musiciens comme toi ont beau laisser la musique de côté, la musique viendra toujours les rechercher par le collet. » Elle avait totalement raison!

Dès le moment où j’ai commencé à m’épanouir un peu plus dans le contexte scolaire, c’est-à-dire à l’école de théâtre, entouré de gens aussi expressifs et éclectiques que moi, j’ai eu envie de refaire de la musique! Je me rappelle un piano qu’il y avait dans l’un des locaux. C’était la première fois depuis sept ans que j’en avais un sous la main! Je me suis pratiqué quelques semaines avant que mes professeurs de théâtre m’entendent jouer et chanter au concours Cégeps en spectacle. Trois mois plus tard, le directeur me mettait à la porte! Il pensait que j’avais le potentiel pour devenir un bon acteur mais les autres professeurs et lui étaient persuadés que la musique était ma voie et que je devais la suivre.

Sur le coup, j’étais fâché! J’avais travaillé fort pour pouvoir payer ces études, mais j’ai fini par suivre leurs conseils. Lorsque je suis retourné vivre chez mes parents – chose qui a été difficile – dans la région de l’Outaouais, j’ai remporté le premier prix d’un concours, ce qui m’a valu de participer au Festival International de la chanson de Granby - qui a vu naître Jean Leloup, Isabelle Boulay, et d’autres. Là aussi, j’ai remporté le premier prix! Et puis j’ai rencontré mon manager.

J’ai dû dépasser ma vision de la chanson comme étant une avenue un brin réductrice en m’accrochant à mes idoles - Diane Dufresne, Björk, Beck ou Bowie - qui mélangeaient plusieurs formes d’art pour parvenir à faire des objets hybrides hyper intéressants. La chanson est alors devenue un véhicule pour faire tout ce dont j’avais envie, et ça a donné la carrière que j’ai eue. J’ai réalisé des vidéoclips, créé des vêtements, collaboré avec des designers, des architectes, des artistes contemporains. Au fil des ans, j’ai cogné à de nombreuses portes qui se sont ouvertes très rapidement. Là, je tourne des petites vidéos pour les réseaux sociaux - parce qu’il paraît que je n’ai pas le choix - et je trouve ça assez amusant.

Photos : Andreanne Gauthier ; David Bowie via @pierrelapointe.officiel

Votre univers visuel est très riche. Lorsque vous composez, des images naissent-elles systématiquement ou émergent-t-elles plus tard?

Je dirais que lorsque j’écris, je ressens d’abord une émotion très forte et claire, parfois déclenchée par une simple phrase. Une fois que plusieurs chansons sont écrites, je les organise, car il émerge souvent des sous-groupes. Je mets ensuite mon chapeau de directeur artistique, et c’est là que le visuel apparaît. Il arrive que des images surviennent très tôt dans le processus, des images pas toujours destinées à voir le jour, car – étant aussi producteur – je dois trouver un aspect pratique et cohérent à cet univers visuel. Une petite partie de mon cerveau pense toujours à l’argent, à ce que je peux faire pour avoir une image optimale au moindre coût possible. En ce moment, dans l’univers de la chanson, arriver à faire ce que je fais avec le peu de moyens dont je dispose demande beaucoup d’amis (rires)! J’ai la chance d’être très proche d’artistes contemporains extraordinaires, tels que Jean-Michel Othoniel et Johan Creten par exemple, qui m’ont laissé entrer dans leur univers et tourner dans leur atelier.

Tout cela pour dire que les images naissent après la musique et un peu par nécessité. Cela dit, ce manque de moyens n’est pas une contrainte pour moi, je dirais même que c’est un moteur, qui me pousse à trouver LA bonne idée.



Vous êtes un grand amateur de mode. Pouvez-vous me parler de sa place et de son sens dans votre vie?

La mode est pour moi quelque chose d’à la fois très amusant et très important. On en parle souvent avec un peu de mépris, et beaucoup de gens l’associent avec le fait d’avoir de l’argent, alors que c’est avant tout une façon de s’organiser socialement, de se positionner à un endroit précis dans l’imaginaire collectif. En musique, on joue constamment avec ces codes-là. Je pense aux Cowboys Fringants ou à Safia Nolin, dont la décision de s’habiller dans les évènements comme dans la vie de tous les jours provoquait des réactions totalement atroces et disproportionnées. Il m’est arrivé de porter des vêtements qui m’ont valu des messages de haine! Le vêtement peut exprimer une certaine forme de liberté d’esprit et ça dérange.

Je porte souvent du Walter Van Beirendonck, un créateur belge qui fait partie du champ gauche des designers de mode parce qu’il est rare de voir des vêtements pour hommes à la fois aussi excentriques et reconnus. Sur scène, je trouve ses vêtements extrêmement efficaces voire violents et j’aime beaucoup l’idée de l’unique, de l’artisanal, du savoir-faire, bref de la pâte humaine placée sur un objet, que ce soit en mode ou en design d’ailleurs.

Photo: Kelly Jacob

En près de 25 ans de carrière, qu’est-ce qui a le plus changé dans votre approche du métier?

Ce qui est agréable, c’est que la reconnaissance professionnelle que j’ai vécue a apaisé beaucoup de choses. Je continue de créer dans l’urgence, mais toujours dans le plaisir. C’est extrêmement important dans une vie d’être reconnu professionnellement je trouve, peu importe la profession. Je me suis fait dire jeune que j’étais un très bon artisan de la musique, que j’avais ma place, que mon discours avait une valeur. Ça a permis à mon assurance de s’affirmer et aujourd’hui, quand je décide de poser un geste, je me trompe rarement. J’ai le luxe de l’expérience, le luxe de pouvoir cogner à pas mal de portes pour m’entourer de collaborateurs précieux.

Très tôt, j’ai eu le flair de d’aller chercher des talents, j’ai un circuit d’amis extraordinaires et je n’ai pas peur de faire plein de choses différentes. Pour moi, à partir du moment où il y a de la création, il n’y a pas de hiérarchie. Il y a des choses intéressantes partout. La hiérarchie naît d’une forme de snobisme, qui naît d’une certaine forme d’insécurité. Maintenant, il y a différentes façons de lire une œuvre, et c’est là que ça devient intéressant : de regarder les choses avec un œil de créateur.



Pouvez-vous nous parler de votre nouvel album, Dix chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abîmé, qui sera lancé le 24 janvier.

J’ai travaillé sur deux albums en même temps. Après la pandémie, j’ai passé pas mal de temps en France et j’ai constaté un véritable retour de la chanson, du chansonnier; on le voit avec le succès d’artistes telles que Zaho de Sagazan, Clara Luciani et Juliette Armanet. Les gens ont envie de ça, et moi j’avais envie d’un album sur lequel je mettrais mes talents d’auteur-compositeur à contribution avec le défi de n’écrire que des grandes chansons! Il contient des clins d’œil à de grands artistes et dégage quelque chose de très affirmé, de riche, d’imposant. Mon but est de faire honneur aux classiques de la chanson française tout en m’inspirant de standards de jazz. Il y a des chansons extrêmement touchantes, notamment une sur ma mère... Je suis le premier surpris de voir à quel point les gens pleurent instantanément à son écoute. J’essaie toujours de mettre le doigt et les bons mots sur une émotion universelle en fin de compte.



Quelle est la clé de votre équilibre?

Pas d’alcool, pas de drogue, je me couche tôt, je fais du sport et je suis doux avec moi-même, pour balancer l’excès de travail. Ce n’est pas difficile pour moi de ne pas faire la fête, car travailler est une fête tellement j’aime ce que je fais! Mais je veille à rester à l’affût de tout ce qui se passe autour de moi, par le biais de voyages, de rencontres et de douceur. Être doux, c’est important.



Si vous ne deviez garder en tête qu'un seul moment de fierté ou de joie, lequel serait-ce?

Ce ne serait pas lié au travail. (Il réfléchit). Mes amours. Oui, la façon dont j’ai vécu mes amours.

Photos: Kelly Jacob (left) ; extrait du vidéoclip "Les fleurs d'une autre dimension", tourné lors de l'exposition de l'artiste Nicolas Party au MBAM.

Suivez @pierrelapointe.officiel sur Instagram pour en apprendre plus sur son travail, ses passions et ses inspirations.